Carnets de l'Economie

Le casse-tête du business transfrontalier




La Rédaction
28/11/2014

En période de chômage et de croissance faible, nombreux sont les salariés ou entrepreneurs qui tentent leur chance à l’étranger. Le réflexe est le même pour les entreprises qui cherchent des relais de croissance dans les exportations, quitte à délocaliser sièges ou outils de production. Non sans difficultés et opportunités pour les uns ou les autres.


L’Europe, si près et si loin

Si l’Europe n’est pas la seule région du monde où faire des affaires, elle a au moins l’avantage d’être stable politiquement : faire des affaires au Moyen-Orient ou simplement en Ukraine en ce moment peut se révéler délicat. Mais l’Europe nous a été vendue comme un un Marché unique, sur lequel sont libres de circuler sans entrave les biens, les capitaux et les travailleurs. Mais s’il est vrai que les contrôles aux frontières ont disparu, cela ne signifie pas qu’il n’y a plus de douanes. Et l’absence d’harmonisation entre les fiscalités, les différentes protections sociales, les contrats de travail font en réalité de l’Europe l’une des régions du monde où il est le plus complexe de franchir une frontière, qu’il s’agisse d’exporter, de produire ou de travailler hors de France, dans le cas qui nous concerne.

Il n’y a pas besoin d’aller en Asie pour rencontrer des difficultés ou des opportunités. Même l’Allemagne présente déjà son lot de législations distinctives : pas de salaires minimum (pour l’instant car à partir de 2015 un salaire minimum, mais différencié et souple, a été institué)) et une durée légale du travail supérieure, pour ne prendre que deux exemples. « L'Allemagne, ce n'est pas de l'export, mais un marché de proximité », résume Jean-Michel Heckel, ancien dirigeant de Lemaître Sécurité, qui y réalisait alors 25 % de son chiffre d'affaires, représentant 38 % de ses exportations. Mais la barrière culturelle est présente ici comme ailleurs : « Si vous voulez travailler en Allemagne, il vous faut un apporteur d'affaires qui parle parfaitement l'allemand et roule en Mercedes », tempère Paul Kipper, ancien dirigeant de Finkmatt Impression. Culture, langue ou législation, le succès des business transfrontaliers ou celui des expatriations de travailleurs reposent sur les mêmes fondamentaux : nécessité économique et connaissance des marchés.

Exportations et délocalisations

« En 2014, tout se jouera à l’international : l’emploi, les investissements et les quelques dixièmes de points de croissance que la France pourra gagner. On ne doit donc pas se louper », insistait Nicole Bricq, alors ministre du Commerce extérieur en février 2014. Un constat de bon sens, valable bien au-delà de la seule année 2014. Le premier but d’un entrepreneur est d’assurer la pérennité de son business model, ce qui revient bien souvent à, soit augmenter ses ventes, notamment via les exportations, soit baisser ses coûts de production, via par exemple les délocalisations. Les deux solutions sont souvent utilisées simultanément en période de ralentissement économique ou lors de tentatives de conquêtes de marchés étrangers. « Il y a quelques années, nous avions pour projet de nous étendre au marché asiatique, […] Mais nous nous sommes très vite rendu compte que mis à part une implantation locale, il n’y avait pas de solution immédiate », témoigne Caroline Luicci, dirigeante d’Euraxia. Des pays comme la Russie conditionnent ainsi certaines exonération douanières au faut ainsi que, par exemple, 60 % de la production d’un bien soit réalisée sur le sol national (cas des voitures en Russie depuis le décret 166 de 2011).

Mais les avantages de l’étranger ne sont pas uniquement cantonnés aux stratégies de développement export. Tout au long de la vie d’une entreprise, de sa création à la disparition de la personne morale, les pays étrangers présentent des opportunités, y compris pour des entreprises qui n’ont jamais réalisés d’exportations. Dans le cas d’entreprises en difficultés particulièrement, le recours à la solution juridique de dissolution-confusion, théorisée par le docteur en droit Yves Laisné, permet souvent de franchir une mauvaise passe. « Dans le cas d’entreprises en difficulté, où nous parlons de « défaisance »,  la dissolution-confusion permet à un entrepreneur de réaliser un transfert de l’actif et du passif de sa société (contenant les diverses dettes) vers une société étrangère, en toute légalité. Compte tenu de la difficulté des institutions de recouvrement à traverser une frontière (difficultés tenant aux capacités d’adaptation de ces institutions plus qu’au droit lui-même, qui permet la collaboration fiscal internationale), l’entrepreneur peut gagner le temps nécessaire au redressement de son entreprise », résume Yves Laisné. Le saut de frontière reste sources d’opportunités nombreuses pour ceux qui osent franchir le pas.

Le saut de l’étranger pour l’individu : nouveaux départ, expérience et culture

Il y aurait de 1,5 à 2 millions Français à l'étranger, avec une croissance annuelle de 3 à 4 % depuis 10 ans, selon une étude de la CCI de Paris. Elles précisent aussi que « 2 sur 10 expatriés sont des créateurs d'entreprises contre 1 sur 10, il y a 10 ans ». L’exode des entrepreneurs s’est donc intensifié, même s’ils ne représentent pas la majorité des expatriés. Pour certains, le franchissement de la frontière est parfois la condition pour une nouvelle carrière. « Vous pouvez rebondir, à condition, selon moi, de ne pas échouer en France. […] J’ai rebondi parce que je me suis exilé. Je pense que si j’étais resté franco-français, ma situation d’aujourd’hui ne serait pas la même », explique par exemple le même Yves Laisné. Outre la fiscalité, la France est aussi un pays qui pratique outrageusement la stigmatisation de l’échec, contrairement à des pays comme les Etats-Unis : sans être valorisé ou encouragé naturellement, l’échec y est perçu comme une expérience intéressante et souvent bénéfique. Au-delà du contexte réglementaire, ce sont aussi les mentalités qu’il va falloir faire évoluer. « En Grande-Bretagne et aux États-Unis, un échec n'est pas mal vu, on apprend de ses échecs pour préparer ses succès à venir », complète Eze Vidra, responsable du département européen d'accompagnement des entrepreneurs en Europe pour Google.

L’herbe est toujours plus verte ailleurs, mais les témoignages d’expatriés sont pourtant globalement unanimes : bien peu seraient tentés de revenir en France, au moins avant leur retraite. « Avec 8% de charges salariales, 15% d’impôts sur le résultat net, et des contrats internationaux payés en euros, l’aspect entrepreneurial favorisant les bonnes volontés locales ou expatriées, les résultats positifs se décuplèrent. Le contraste est flagrant. Même si tout n’est pas rose, cela ne donne pas envie de rentrer en France », témoigne ainsi un entrepreneur d’un entreprise d’informatique installée à l’île Maurice. « Même si j’ai toujours mon entreprise en France, il faut aussi savoir qu’à l’étranger la pression fiscale est beaucoup moins importante qu’en France. Donc pour la qualité de vie, il est possible de faire un bon assez significatif », s’enthousiasme de son côté Julien Arcin, entrepreneur français en Thaïlande. Un constat qu’il tempère tout de même par « deux choses indispensables : avoir des revenus assurés, et des contacts ». Autre limite, il est toujours plus facile de vivre à l’étranger lorsque l’on est jeune, sans attaches familiales et en bonne santé. Mais l’expatriation ne se fait pas uniquement vers les pays en voie de développement, et elle peut aussi être subie, dans le cas où un salarié est affecté à l’étranger.

Des cas de travailleurs transfrontaliers aux « simple » cas de portage salarial, en passant par les entrepreneurs expatriés, des entreprises française qui exportent à celles qui se délocalisent à l’étranger, les solutions sont aussi diverses que les cas de figure. Mais toutes supposent connaissances de la législation et cultures du pays d’accueil. L’information reste simplement le nerf de la guerre.










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