Carnets de l'Economie

L'insatiable Emmanuel Besnier




La Rédaction
20/11/2012

Lactalis est le premier laitier français devant Danone. Il est aussi le numéro un mondial. Au décès du père fondateur en 2000, les enfants héritiers ont conservé la totalité des actions. De ce fait, propriété strictement familiale, cette multinationale du lait ne publie pas ses comptes. À sa tête, Emmanuel Besnier brille par sa discrétion. Le milliardaire invisible ne fréquente pas les cocktails et fuit les journalistes. S'il est discret, il n'en a pas moins la réputation d'être un guerrier et de mener ses affaires avec dureté. Les producteurs de lait en savent d’ailleurs quelque chose, tout comme les centres Leclerc qui ont dû plier devant ses exigences tarifaires. En effet, le numéro un mondial du lait n'apparaît pas sous son nom. Lactalis est inconnu du grand public, un peu comme son PDG. En revanche, ses marques sont incontournables : Bridel, Lactel, Président, Roquefort Société et bien d'autres. Lactalis est présent sur toute la planète, avec à chaque fois des marques locales. Cette stratégie payante a permis à Emmanuel Besnier de porter son groupe en position de leader mondial, étape par étape.


La stratégie du rachat

L'insatiable Emmanuel Besnier
À sa naissance en 1933, Lactalis n'est qu'une petite fabrique artisanale de camembert. Elle se développe grâce à la méthode initiée par le grand-père fondateur : se passer d'intermédiaires et contrôler toute la chaine de production. Il s'agit de partir du lait, acheté directement aux producteurs, pour fabriquer non seulement du fromage ou du beurre, mais également tous les sous-produits. Lactalis commercialise par exemple des produits à base de lait à destination des professionnels et des industriels. De cette façon, le groupe échappe aux fluctuations d'un segment en orientant sa production vers les autres. Cette stratégie sera développée avec bonheur par Michel Besnier, le père d'Emmanuel. C'est également lui qui va transformer Lactalis en un groupe d'envergure, en menant en France une politique de rachats. Ainsi, Lactalis acquiert des marques symboliques. En 1984, il rachète Lactel, en 1990, c'est au tour du groupe Bridel. Ce groupe était le 4e laitier français, présent dans 60 pays où il employait 2500 personnes. Le rachat de Roquefort Société intervient en 1991.

Lorsque Michel Besnier disparaît, c'est Emmanuel qui va accélérer le développement du groupe. Celui-ci est certes présent à l'étranger, mais il va connaître une expansion record. Emmanuel Besnier se lance ainsi dans des acquisitions un peu partout dans le monde : Kazakhstan, Russie, Croatie, Égypte, Pologne, Ukraine, Algérie, Chine, Italie et bien d'autres. En Italie en 2006, Lactalis rachète le groupe Galbani, leader dans l'agroalimentaire. C'est ainsi que le groupe devient rapidement numéro 3 mondial. La même année, il s'associe avec le groupe Nestlé pour produire des yaourts et des produits frais dans 9 pays européens sous des marques connues en France : La Laitière, Flanby, Sveltesse. En 2008, Lactalis acquiert le groupe suisse Baer dont le chiffre d'affaires était de 25 millions d'euros. En 2010, c'est au tour de l'Espagne où Lactalis effectue trois opérations avec les rachats stratégiques de Forlasa, Ebro Puleva et Sanutri. Si Emmanuel Besnier a bien hérité d'un groupe, il est certain que c'est lui qui en a fait un géant mondial.

Devenir numéro 1

Devenir numéro 1 est l'obsession des numéros 2. Toujours classé derrière Danone, Lactalis a toujours ambitionné de prendre la place du champion français. De ce fait, il lance dès 2011 une opération discrète avec le rachat d'actions d'un groupe majeur. Il s'agit en fait de préparer le terrain pour l'acquisition totale. Début 2011, Lactalis débourse 1,5 milliard d'euros pour l'achat de 29 % des actions de Parmalat, le géant italien des produits laitiers. Il en devient de ce fait l’actionnaire majoritaire. Mais en accord avec sa stratégie d'acquisition forcenée, Emmanuel Besnier ne peut se contenter de ce fauteuil d'observateur. Toutefois, certaines acquisitions sont politiquement délicates. Ainsi, les pouvoirs publics avaient rejeté l'acquisition d'Entremont par Lactalis au profit de l'offre de la coopérative Sodiaal sur des motifs d'opportunité économico-politiques. Pour des raisons similaires, la reprise de Yoplait avait également été un échec. Or, Parmalat n'est pas juste un groupe leader en Europe et dans le monde, c'est aussi un fleuron de l'industrie italienne. Difficile donc de s'en porter acquéreur avec des méthodes de flibustiers.

C'est pourtant ce que tente Emmanuel Besnier, pour qui cette opération couronne sa stratégie. Avec cette acquisition, il passe devant Danone et devient même numéro 1 mondial avec une avance notable sur les suivants. Le 23 mai, il annonce donc une OPA sur Parmalat, un mois après avoir acquis 29 % de participation. Il propose un montant record de 3,4 milliards d'euros. La particularité de la cible, Parmalat, entreprise de tradition et champion italien, provoque des réactions politiques. Le président de la République française, en visite en Italie au moment de l'annonce, est interpellé sur cette question. Et surtout, les autorités italiennes tentent de bloquer l'acquisition en édictant un décret-loi. Les banques italiennes essaient d'organiser une contre-offensive. Comme à son habitude, Emmanuel Besnier résiste à tous. Il propose toutefois des garanties sur la pérennisation de Parmalat. La cotation sera maintenue à la bourse de Milan. Lactalis transférera même certaines de ces activités de France vers l'Italie. Les autorités de Bruxelles analysent l'opération au regard des principes de libre concurrence. Le 14 juin 2001, elles donnent leur plein accord et Lactalis devient le numéro 1 mondial.

L'opération Parmalat a contraint Lactalis à publier ses résultats pour la première fois de son histoire. Ces chiffres sont ceux d'un groupe florissant avec une marge moyenne de 9 %, ce qui lui donne une rentabilité enviable. L'endettement est important, notamment en raison des acquisitions au nombre desquelles figure Parmalat. Mais le remboursement de la dette est garanti par le chiffre d'affaires et n'inquiète pas les banquiers. Lactalis doit y consacrer 50 à 60 % de son cash-flow. Emmanuel Besnier a compris les leçons de son père. Lactalis est un géant solide, il contrôle la planète.










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