Espionnage industriel : que penser de nos plus proches pays partenaires ?



Grégoire Moreau
10/09/2013

« Nous avons peut-être des alliés, mais nous n’avons aucun ami ». La phrase est plus souvent utilisée dans un contexte militaire, mais le monde économique emprunte beaucoup au monde militaire depuis quelques temps. Si la Chine est, non sans fondement, régulièrement montrée du doigt lors des affaires d’espionnage, des pays bien plus proches ne sont pas forcément en reste.


On souhaiterait voir le monde économique se comporter comme Michelin et Bridgestone en 2007, lorsqu’un ex-cadre du fabricant français a tenté de vendre des informations à son concurrent japonais : dénoncé à Michelin par l’entreprise concurrente, l’employé indélicat a pu être arrêté avant de pouvoir livrer ses secrets. Un exemple de fair-play plutôt rarissime dans le monde de l’industrie, pour ne pas dire unique. Lorsqu’un cadre d’Airbus Military se fait voler une partie des plans de l’A400M à l’hotel Pullman de Versailles en 2011, on imagine mal les commanditaires ou les bénéficiaires de cette action, qu’ils soient américains, brésiliens, russes ou chinois, venir poliment rendre les plans à Airbus en s’excusant de la gêne occasionnée. Le monde de l’aéronautique est particulièrement féroce sur le plan commercial, et il n’y a jamais eu de cadeau entre concurrents, Airbus ne se privant pas, par exemple, de commenter les déboires du 787. Et c’est de bonne guerre, Boeing ne s’était pas privé de souligner les problèmes de jeunesse de l’A380.

La Chine est éminemment suspecte dans ces circonstances, non seulement parce que le pays a des aspirations industrielles de plus en plus importantes, parce qu’il a des moyens sans commune mesure avec ce qui se fait ailleurs, hors Etats-Unis, mais aussi parce qu’il s’est fait une spécialité du reverse engineering : se procurer un système, le démonter, le comprendre et le reproduire (en s’asseyant au passage sur toutes les lois de protection de la propriété industrielle et intellectuelle). Néanmoins, il convient de rappeler que si la Chine est membre de l’Organisation Mondiale du Commerce depuis décembre 2001, elle n’est pas membre de l’OCDE et n’est donc tenue par aucun des engagements de respect de la propriété intellectuelle qu’une participation impliquerait. Culturellement parlant, les Chinois ont un rapport différent du notre vis-à-vis de ce même respect de la propriété intellectuelle, et par rapport à l’esprit d’initiative et la prise de risque. Ce sont, entre autres, deux raisons pour lesquelles le phénomène de copies n’a été que faiblement combattu par les autorités chinoises jusque dans les années récentes.

Mais la Chine ne porte pas la responsabilité de toutes les affaires litigieuses, et celle de l’espionnage chez Renault a illustré ce parti pris un peu rapide dès qu’on parle d’espionnage industriel. Ce cas a également soulevé la question du contrôle des officines de contre-espionnage privées ou internes aux entreprises, qui agissent souvent avec un peu trop de libertés dans les méthodes. Le cas Renault a en tout cas été révélateur de connaitre l’origine de fuites d’informations réelles ou supposées. Si dans l’imaginaire populaire, les anciennes méthodes supposaient l’entrée par effraction dans des sites industriels (même si la corruption sous toutes ses formes a toujours été une méthode beaucoup plus simple), l’informatisation systématique et les réseaux laissent beaucoup moins de chances de détecter une éventuelle intrusion. Le piratage informatique, qui peut être réalisé depuis les bases arrière dans les pays indélicats est devenue la plus rentable et la plus sûre des méthodes. Lorsqu’un pays dispose en plus d’une infrastructure étatique dédiée comme aux Etats-Unis, il y a lieu de prendre certaines précautions et de rester vigilant en toutes circonstances. Si les Etats-Unis ont beau jeu d’accuser la France d’espionnage depuis des décennies, nous avons au moins pour l’instant l’avantage de ne pas subir les révélations médiatiques d’un transfuge sur le système d’espionnage informatique américain à grande échelle. Si les lois antiterroristes américaines permettent de disposer d’un tel outil à des fins sécuritaires, rien ne garantit qu’il ne soit pas utilisé à des fins commerciales, tant l’opacité sur son usage est importante. La France, comme toutes les nations industrialisées, pratique l’espionnage industriel, et ce jeu est discrètement toléré par tous les acteurs à la condition de ne pas se faire prendre. Bien que tout le monde sache que l’industrie automobile n’échappe pas à la règle, il est assez paradoxal de constater des réactions étonnées lorsque l’on découvre que BMW, via un intermédiaire, se renseigne sur le système de bornes électriques des AutoLib’ à Paris. Les Allemands nous espionneraient-ils ? Bien évidemment, car si notre modèle industriel n’a pas grand-chose à leur apporter, la technologie française reste une des meilleures au monde dans bien des domaines, particulièrement sur le créneau très convoité des voitures électriques.

Tout le monde espionne tout le monde en permanence, parce que l’information est une donnée stratégique en entreprise et parce que les marchés ne détestent rien plus que les surprises. Il y a cependant quelques règles tacites à ce jeu, dont celles qui consiste à ne pas se faire prendre sous peine d’exécution (médiatique) en place publique. Mais il serait illusoire de croire que pour s’être fait prendre à être trop curieux à Paris, le constructeur BMW va vendre moins de voitures en France, raison pour laquelle le jeu en vaudra toujours la chandelle. Si les conséquences politiques et diplomatiques peuvent être lourdes, le pari de l’espionnage sera toujours économiquement rentable, probablement par ce que ce n’est pas aux entreprises d’assumer les conséquences politiques de leurs actes.