Electeur et Médias médians : les cauchemars de la droite



La Rédaction
21/03/2022

« L’électeur médian est devenu socialiste ou à tout le moins socialisant ; les médias quant à eux sont franchement socialistes et européistes ». Bernard Landais, Professeur Agrégé de Sciences Économiques nous explicite le cauchemar de la droite. Il est l’auteur de « Réagir au déclin, Une économie politique pour la droite française » (VA Éditions) dans lequel il livre les actions urgentes à entreprendre pour la croissance économique de la France.

Extrait pages 126-129.


"Mis à part l’épisode de 1986-1988 et peut-être la toute première année du quinquennat de Nicolas Sarkozy en 2007, les idées et politiques de droite ne réapparaîtront plus au sommet du pouvoir. La population des dirigeants va radicalement changer après 1974 : au revoir les dirigeants issus de la Résistance et bienvenue aux politiciens « ordinaires ». Cette fois, les théories de l’Ecole de Virginie et leur extension selon MIE vont pouvoir s’appliquer en passant ainsi du « théâtre des opérations » aux « opérations de théâtre ». Valery Giscard d’Estaing disait : « La France aspire à être gouvernée au centre ». Comme l’énonce Jacques de Guénin (2011), il serait plus exact de dire « la France est condamnée à être gouvernée au centre ». Elle l’est parce qu’ayant perdu la bataille culturelle, la droite institutionnelle ne peut garder ou reconquérir le pouvoir qu’en se reniant en permanence. On a retenu la réplique « Monsieur Mitterrand, vous n’avez pas le monopole du cœur ! » censée avoir décidé du résultat de l’élection de 1974. En y réfléchissant, cette phrase entérinait plutôt la subordination doctrinale et morale d’une droite institutionnelle complexée, surtout quand on se souvient des très fameuses « qualités de cœur » de François Mitterrand ! Elle inaugure aussi « les poses théâtrales » de Giscard pour ressembler à la gauche, puis celles de ses successeurs de la droite institutionnelle. A la veille des présidentielles de 1981, VGE donnait une interview à L’Express : « Ne dites pas aux Français que je suis socialiste, ils me croient libéral ». Son message, quoiqu’exact, passa surtout et à juste raison pour une « finesse » désespérée mais cette fois, Giscard ne passa pas !
 
L’électeur médian est devenu socialiste ou à tout le moins socialisant ; les médias quant à eux sont franchement socialistes et européistes. L’intégration européenne semble alors le seul terrain où les diverses familles politiques espèrent trouver leur compte. Elle sera donc très vite le plus petit commun multiple de la politique française ; la droite institutionnelle y verra une chance de justifier le Marché en douce, tâche qu’elle n’a jamais été capable d’accomplir ouvertement. La gauche y trouvera le moyen de le réglementer et elles finiront par avoir raison toutes les deux.
 
Dans les années 1980, la gauche y cherche d’ailleurs beaucoup plus. Ayant échoué économiquement après 1981, elle doit faire sa mue. A cette époque, elle est fortement complexée en économie, une discipline qu’elle maîtrise mal ; elle va donc sous-traiter presque aveuglément sa gestion de l’économie à l’Europe. Elle se garde seulement quelques postures en réserve à l’usage de son électorat et afin d’assurer la transition politique. Son européisme militant fut aussi pour elle le moyen de désarrimer progressivement les centristes [1] de la droite.
 
Tout ceci ne laisse aucune place à un retour au gouvernement effectif de la droite et fait prendre au pays le tournant du déclin. Les personnels de droite et de gauche ont de plus en plus des profils communs, avec une formation de base administrative et juridique (l’ENA souvent).
 
Les hommes politiques vraiment de droite n’ont pu faire une percée qu’à des moments de discrédit évident des socialistes, par exemple en 1986, sous l’effet en tenaille de l’échec économique de l’Union de la gauche et des succès de Margaret Thatcher et Ronald Reagan. A cette époque, Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen s’intéressaient à l’Economie de l’Offre et aux politiques libérales mais le flirt n’ira pas bien loin. Jacques Chirac, qui s’est déjà heurté de front au pouvoir médiatique après son « Appel de Cochin », perd finalement l’élection de 1988 après deux années de politique de droite assez clairement assumée (l’exception). Il pense alors qu’il le doit aux audaces mal comprises de son gouvernement de 1986-1988 et jure qu’on ne l’y reprendra plus. Sa victoire de 1995 sera une anecdote sans aucune conséquence pour notre déclin et il se gardera bien de mettre en œuvre le programme droitier de gouvernement RPR-UDF de 1990 [2] . En 1997, il expérimente que, quoi qu’il fasse, la gauche reprend le manche rapidement. Les prélèvements ne cessent de progresser et l’Etat s’endette en permanence ; la politique européenne continue sur sa lancée, l’immigration est dédaignée, l’école se dégrade sous l’effet des innovations pédagogiques. La croissance économique ainsi que les investissements se ralentissent fortement et l’anti-développement est désormais sur les rails.
 
Une tentative pour sortir de l’ornière centrale fut l’un des premiers actes politiques de Nicolas Sarkozy. Il commande à un aréopage d’experts [3] ce que l’on a nommé ensuite, du nom de son président, le rapport Attali. Il s’agissait de trouver et de combattre les handicaps de la France sur le chemin de la croissance économique. On y trouve la plupart de ceux que suggère cet essai : une fiscalité mal orientée, une éducation en déliquescence et aussi l’une des plaies de l’époque, le refus du risque qui imprègne progressivement l’économie française et pénalise l’action. Le rapport demandait donc le retrait du « principe de précaution », inscrit dans la constitution par Jacques Chirac. On sait ce qu’il en advint et comment, moins d’un an après sa parution, le rapport fut enterré par la crise de 2009. Globalement, ce rapport fut quand même un « rappel à l’offre » que François Hollande exploita ensuite mais plutôt « gauchement » avec Emmanuel Macron en 2015. Le rapport Attali ne se projetait pas jusqu’au développement et, fortement imprégné de l’idéologie pseudo-libérale des Démocrates américains, se cantonnait dans le domaine de la production et des échanges. On peut néanmoins affirmer qu’il allait dans la bonne direction, au moins pour le destin de la croissance économique (du PIB) proprement dite [4] . Ce fut donc, après 1986-1988, la seule éclaircie dans le chemin de croix de la droite. Cette éclaircie s’est marquée brièvement dans le rang mondial de « liberté économique » donné régulièrement aux pays du monde par le Cato Institute et l’Institut Frazer (2018).
 

Sur le tableau, à lire plutôt dans ses positionnements relatifs (rang), on voit le bond en avant à la 35ème place de cette époque 2007-2010 ainsi que celui, plus marqué, qui avait placé le pays dans le Top 20 après le court passage de la « vraie droite » de 1986 à 1988. On peut noter enfin le « bond en arrière » des années Hollande, nous reléguant à la 57ème position mondiale pour les libertés économiques. La situation ne s’est pas améliorée depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron."
 


 
[1] C’est l’époque du « plus européen que moi, tu meurs ! ».
2 Alain Juppé, personnage emblématique de la droite institutionnelle, dira même plus tard que ce programme était une « erreur » ; on connaît le rôle que joua Alain Juppé comme premier ministre après 1995, avec le succès que l’on sait.
3 Majoritairement de gauche d’ailleurs, ce qui est très révélateur… du peu d’estime du pouvoir « de droite » d’alors vis-à-vis des économistes de droite.
4 Il menait par conséquent à un compromis du style : économie capitaliste, société socialiste, finalement très proche des positions de la gauche moderne. C’est aussi la base de certaines positions de l'aile macroniste du parti LR.