Comprendre la dissolution-confusion. Rencontre avec Yves Laisné, auteur du livre de référence sur le mécanisme



La Rédaction
04/04/2016

Fort du succès de son “Guide pratique de la dissolution-confusion”, Yves Laisné présente aujourd’hui une nouvelle édition de son ouvrage de référence. Preuve s’il en fallait une, que le droit est bien vivant et évolue. Le docteur en droit et conseiller auprès d’entreprises en difficulté, s’attarde notamment sur la perspective de la transmission universelle de patrimoine transfrontalière. Pour les Carnets de l’Economie, Yves Laisné répond aux questions sur la dissolution-confusion et éclaire les zones d’ombre qui pourraient (encore) subsister.


Une seconde édition de votre « Guide pratique de la dissolution-confusion » vient de paraître. Qu’est-ce qui vous a motivé à rédiger cette nouvelle version?

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C’est une question importante : les dissolutions transfrontalières se sont développées depuis une dizaine d’années. Les créanciers notamment publics et parapublics, ont indiqué que la dissolution-confusion transfrontalière avait pour effet de gravement les désavantager et leur faire perdre leur possibilité de recouvrement. De là, est né un débat jurisprudentiel mais aussi politique sur la dissolution-confusion transfrontalière.
 
Ce débat autour des conditions de la mise en œuvre du mécanisme a conduit à un développement juridique complètement nouveau et a donc justifié la rédaction de cette nouvelle édition qui compte environ 200 pages de plus de la précédente en 2009. Par ailleurs, j’ai été encouragé par l’accueil favorable que la première édition de mon ouvrage a reçu. C’est pour moi très satisfaisant de constater que mon ouvrage a suscité l’adhésion de la communauté scientifique.

Pour ceux qui ne connaitraient pas encore la dissolution-confusion, pourriez-vous revenir en quelques mots sur ce mécanisme? pas encore la dissolution-confusion, pourriez-vous revenir en quelques mots sur ce mécanisme?

La dissolution-confusion désigne l’opération qui consiste à confondre une société dans une autre. Cet outil a pour effet la transmission universelle de patrimoine. Une société (la société confondante) détient 100% du capital d’une autre société (la société confondue) et décide de la dissoudre et de la confondre en son sein. C’est une technique simple de concentration d’entreprises qui peut être envisagée entre deux entreprises françaises mais également entre une société française et une étrangère. Ce dernier cas illustre la version transfrontalière de la dissolution-confusion qui singularise mon ouvrage.

Quelles nouveautés avez-vous souhaité développer dans cette seconde édition?

Comme la première édition, ce nouvel ouvrage est un guide pratique et apporte donc des clefs concrètes aux praticiens du droit ou aux chefs d’entreprise désireux de se familiariser avec la dissolution-confusion. Au vu des évolutions en la matière, j’ai souhaité approfondir un certain nombre de points comme par exemple les possibilités de voies d’exécution transfrontalières et l’application des traités européens.  J’ai également développé les problématiques relatives à la date d’opposabilité de la dissolution-confusion, à la lumière d’un arrêt de la Cour de Cassation de 2011, qui dissocie l’opposabilité de la dissolution de la personne morale. 

En effet, cette jurisprudence a eu pour effet de créer une période, que j’appelle de « faux jour », et qui peut durer quelques heures, quelques semaines, voire un mois. Pendant cette période la société a disparu. Mais les tiers peuvent toujours se prévaloir de son existence. Je préconise dans cet ouvrage que la Cour de Cassation revienne sur cette jurisprudence parce que les motifs qu’elle a retenu, bien que fondés, peuvent être discutés et il y aurait eu d’aussi bons motifs de ne pas l’adopter. 

Quelles solutions concrètes apporte la dissolution-confusion à un dirigeant d’entreprise qui traverserait une mauvaise passe?

En pratique, la dissolution-confusion a de multiples utilités, y compris lorsque l’entreprise n’est pas en difficulté. Par exemple, lors de la cession de l’entreprise, ce qui est un cas important à mon sens. Il s’agit de permettre à l’acheteur d’acquérir une société sans garantie de passif. Ce dernier va alors acheter la société, la dissoudre et la confondre. Avec une autre société, il va racheter le fonds de commerce. L’acheteur aura en quelque sorte « mis de côté » les risques d’un passif inconnu de la société qu’il achète, sans pour autant qu’ils ne disparaissent. Il aura néanmoins de meilleurs moyens de se défendre grâce à la dissolution-confusion.
 
Pour une entreprise en difficulté, la dissolution-confusion peut éviter de passer par la « case  faillite ». Mais cela ne signifie en aucun cas que la dissolution-confusion transfrontalière, ou « TUP-trans », constitue une éponge mouillée avec laquelle on efface les dettes qui sont écrites à la craie sur un tableau noir. Ce n’est pas comme cela que cela fonctionne, permettez-moi de le préciser ! En effet, la dissolution-confusion ne fera pas disparaitre des agissements pénaux qui auraient été commis par l’entreprise qui disparait. Cela ne fait pas non plus disparaitre les dettes, cela a simplement pour effet de leur faire traverser la frontière. Ainsi, le débiteur ou société confondante, se retrouve dans une position beaucoup plus forte. Pourquoi ? Parce que précisément ses créanciers doivent respecter certaines voies de droit qui sont plus complexes à mettre en œuvre, ce qui est parfaitement légal. 

Est-ce une solution respectueuse de l’éthique ?

 
Il a été prétendu que la dissolution-confusion constituerait une fraude à la loi. Or, la dissolution-confusion d’une entreprise dans une autre, notamment dans la perspective transfrontalière, repose sur l’application cohérente des traités européens. C’est donc  parfaitement régulier et légal, comme l’a rappelé un article du professeur Marie-Laure Coquelet, vice-chancelier de l’université de Paris. Cet article a marqué un tournant en ce qu’il a provoqué une réorientation de la jurisprudence : il a permis d’attester qu’il n’existe pas de droit subjectif d’un créancier à provoquer la liquidation judiciaire et qu’en conséquence, il est parfaitement légal de recourir à la dissolution-confusion pour s’en prémunir.  
 
Par ailleurs, le droit français permet déjà au débiteur de résister à son créancier. Il a le droit par exemple par l’article 1244-1 du Code Civil de demander au juge d’assigner son créancier pour demander des délais (un juge peut accorder jusqu’à 24 mois). Or, c’est un mécanisme qui est méconnu et donc peu utilisé. La dissolution-confusion ne fait qu’apporter un moyen de défense supplémentaire et permet de négocier avec ses créanciers en position de force ou de moindre faiblesse.
 
J’ajouterai que des milliers d’emplois ont été sauvés depuis une dizaine d’années grâce à ce mécanisme.  Sur le plan légal comme éthique, il n’y a pas donc pas lieu de rougir de cette activité.

Avez-vous eu des retours d’expériences d’entrepreneurs qui, grâce à votre ouvrage ont pu amorcer une nouvelle étape dans la vie de leur entreprise ?

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Oui, de nombreux partenaires ont réussi à rebondir alors que leur entreprise était en difficulté. Ces entreprises sont issues de secteurs très variés tels que le bâtiment, le gardiennage, le transport et même l’industrie. Pour beaucoup, ce sont des entreprises sous-traitantes qui sont confrontées à la rudesse d’un marché très concurrentiel ainsi qu’à de lourds prélèvements obligatoires. Et dans cette conjoncture, il n’est pas rare que les dirigeants se retrouvent en position de rupture. La dissolution-confusion a ainsi permis de sauver leur entreprise.

J’ai également pu conseiller des clients dans l’utilisation de cet outil comme facteur de restructuration de groupe ou comme moyen d’acquisition d’entreprise dans des meilleures conditions. J’ai notamment le souvenir d’une petite entreprise de mécanique, dirigée par un homme qui avait un magnifique parcours. Ce dernier a commencé comme ouvrier jusqu’à diriger l’entreprise pendant 40 ans. L’entreprise avait du succès mais n’avait pas de repreneur lorsque le dirigeant a voulu prendre sa retraite. La dissolution-confusion a permis d’organiser la transmission de l’entreprise dans de meilleures conditions et ainsi de trouver un repreneur, et ce par un moyen impeccable sur le plan juridique.

Je vous cite : « Il arrive que, presque par accident, le droit apporte des solutions ». Est-ce à dire que le droit français n’apporte pas suffisamment d’aide aux entrepreneurs?

Le caractère transfrontalier de la dissolution-confusion n’avait pas été vu au départ par le législateur de 1988, comme c’est le cas pour l’article 1382 du Code Civil qui stipule que chacun est responsable des dommages qu’il cause par sa faute. Cet article n’était pas spécialement destiné à produire des effets juridiques importants. Or c’est devenu le fondement même des principes de la responsabilité civile délictuelle. 
 
S’agissant de l’article 1844-5 alinéa 3 du Code Civil, portant sur la dissolution-confusion, c’est un peu la même chose. Son utilisation a été prévue en droit français et son application  transfrontalière est aujourd’hui permise en toute régularité sur la base des traités européens. C’est donc le rapprochement de l’article du Code Civil d’une part et de l’Acte Unique européen ainsi que de la législation européenne d’autre part, qui a conduit à cette figure juridique. C’est un heureux hasard au vu du contexte législatif actuel qui n’est pas toujours très lisible pour les chefs d’entreprise français. 

Le parcours règlementaire et juridique proposé aux dirigeants d’entreprises en cas de faillite s’est-il selon vous simplifié ?

Un rapport de 2006 intitulé « De la sécurité juridique en droit français » pointait déjà du doigt les superpositions de normes,  voire les contradictions et les lois changeantes. Et les lois continuent de s’accumuler car les gouvernements d’hier et d’aujourd’hui pensent répondre à un problème en légiférant, parfois sous le coup de l’émotion ou dans l’urgence. Or, l’arsenal législatif existant est largement suffisant pour répondre à nos problématiques actuelles.
 
Selon moi, les dispositions en faveur de l’entreprise sont rares sauf celles mises en place par René Monory, qui a aboli le contrôle des prix. Depuis une centaine d’années, on observe une réduction de la liberté de l’entrepreneur. Est-ce que l’on assiste aujourd’hui à un infléchissement ? Je répondrai oui dans une certaine mesure, notamment avec la loi Macron. Je pense qu’il y a actuellement une tendance à essayer de « réhabiliter l’entreprise » ou du moins de l’aider à ce que ses charges ou ses obligations pèsent moins. Or, à mon sens, une entreprise n’a pas besoin d’être aidée mais libérée. Car qui dit aider, dit encadrer suivant le principe « qui paye commande ». Nous restons donc dans une économie dirigée.

Avec l’harmonisation fiscale européenne, la dissolution-confusion est-elle vouée à disparaître?

La dissolution-confusion transfrontalière, dont l’objectif n’est pas principalement fiscal, ne disparaitra pas mais perdra progressivement ses avantages, notamment pour les entreprises en difficultés. Cela prendra néanmoins beaucoup de temps, sûrement des décennies. En attendant, la dissolution-confusion peut encore servir de moyen de sauvetage d’entreprise et de transmission améliorée. 

Une troisième édition de votre ouvrage est-elle à prévoir ?

Lorsque j’ai écrit la première édition de mon ouvrage, je n’avais pas prévu que 6 ans après j’en ferai une seconde. L’avenir le dira. Néanmoins, en l’état actuel de l’évolution de la jurisprudence, je ne pense pas que nous devons nous attendre à des évolutions majeures qui nécessiteraient la rédaction d’une nouvelle édition.  Par ailleurs, j’ai commencé la rédaction d’autres ouvrages, notamment sur la réduction de l’exposition patrimoniale ou sur l’analyse du système français. 

Yves Laisné  est docteur en droit, chef d'entreprise et conseil juridique international inscrit sur la liste de la Cour d'Appel de Berlin. Auteur d'une thèse sur La remotivation patrimoniale, il a également publié un ouvrage sur Les usages du Port de Rouen. D'abord assistant de droit des universités, il passe quelques années comme secrétaire général dans une structure patronale territoriale, avant de fonder ses propres entreprises. Il est aujourd'hui à la tête d'un groupe financier et de conseil basé en Allemagne et en Belgique et actif, notamment, en France et en Autriche. 

"Dissolution-confusion: guide pratique", par Yves Laisné est paru aux Editions Formation Entreprise (EFE) en décembre 2015.